Un accord de médiation peut-il étendre l’obligation de confidentialité au-delà des hypothèses prévues par la loi et avec quelle effectivité ?

Un accord de médiation peut-il étendre l’obligation de confidentialité au-delà des hypothèses prévues par la loi et avec quelle effectivité ?

 

L’article L. 213-2 du code de justice administrative issu de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 article 5-III-3° dispose que :
« Sauf accord contraire des parties, la médiation est soumise au principe de confidentialité.

 

Les constatations du médiateur et les déclarations recueillies au cours de la médiation ne peuvent être divulguées aux tiers ni invoquées ou produites dans le cadre d’une instance juridictionnelle ou arbitrale sans l’accord des parties.

 

Il est fait exception au deuxième alinéa dans les cas suivants :

1. En présence de raisons impérieuses d’ordre public ou de motifs liés à la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant ou à l’intégrité physique ou psychologique d’une personne ;

2. Lorsque la révélation de l’existence ou la divulgation du contenu de l’accord issu de la médiation est nécessaire pour sa mise en œuvre ».

 

Il convient ici d’étudier le champ d’application de l’obligation de confidentialité en cause (I) et d’en déterminer l’effectivité réelle pour les parties (II).

 

 

I) La précision jurisprudentielle bienvenue mais encore incomplète du champ d’application de l’obligation de confidentialité issue de l’article L. 213-2 du CJA

 

 

En application de ces dispositions, les parties disposent de la faculté de limiter l’obligation de confidentialité des constatations du médiateur et des déclarations recueillies au cours de la médiation et ainsi prévoir la possibilité pour elles de divulguer ces informations aux tiers ou au juge dans le cadre d’un procès ou d’un arbitrage.

 

Par ailleurs, le législateur prévoit qu’il est fait exception au deuxième alinéa dans deux hypothèses. Il faut comprendre que l’exception susvisée implique que dans ces hypothèses, cette obligation de confidentialité est levée de plein droit et indépendamment de ce que les parties ont prévu ou non dans leur accord.

 

La première hypothèse est celle relevant classiquement de l’ordre public mais aussi celle tenant à l’existence de motifs liés à la protection de l’enfant ou de l’intégrité d’une personne. La deuxième hypothèse relève quant à elle plutôt du bon sens et concerne la mise en œuvre de l’accord à travers le processus d’homologation de l’accord par le juge ou encore à travers le processus de demande d’exécution de l’accord ainsi homologué en application de l’article L. 213-4 du code de justice
administrative. Il est évident qu’il est nécessaire de connaitre le contenu de l’accord de médiation pour
le mettre en œuvre.

 

Ainsi, les parties n’ont apparemment que la possibilité de réduire l’obligation de confidentialité et ce uniquement sur les constatations du médiateur et des déclarations des parties, cette obligation étant par ailleurs levée dans les deux hypothèses prévues par la loi.

 

Pour autant, d’autres informations que les constatations du médiateur et déclarations des parties sont susceptibles d’être apportées dans le cadre d’une médiation, comme les rapports d’expertise, et il importe de se demander si les parties ont la possibilité de prévoir une obligation de confidentialité pour ces rapports, le législateur étant resté muet sur cette question.

 

En ce sens, un avis important du Conseil d’Etat publié au recueil Lebon du 14 novembre 2023 apporte des précisions importantes sur le régime de la confidentialité prévue à l’article L. 213-2 du code de justice administrative (CE, avis, 7/2 CR, 14 novembre 2023, Société des Grands Travaux de l’Océan Indien (GTOI), N° 475648, Publié au recueil Lebon, concl. Pichon de Vendeuil).

 

Dans le considérant 2, la plus haute juridiction administrative confirme que : « ne doivent demeurer confidentielles, sauf accord contraire des parties et sous réserve des exceptions prévues par cet article, sans pouvoir être divulguées à des tiers ni invoquées ou produites dans le cadre d’une instance juridictionnelle, que les seules constatations du médiateur et déclarations des parties recueillies au cours de la médiation, c’est-à-dire les actes, documents ou déclarations, émanant du médiateur ou des parties, qui comportent des propositions, demandes ou prises de position formulées en vue de la résolution amiable du litige par la médiation ».

 

A contrario, il est donc permis que « soient invoqués ou produits devant le juge administratif d’autres documents, émanant notamment de tiers, alors même qu’ils auraient été établis ou produits dans le cadre de la médiation. Tel est en particulier le cas pour des documents procédant à des constatations factuelles ou à des analyses techniques établis par un tiers expert à la demande du médiateur ou à l’initiative des parties dans le cadre de la médiation, dans toute la mesure où ces documents ne font pas état des positions avancées par le médiateur ou les parties en vue de la résolution du litige dans le cadre de la
médiation.

 

Une petite nuance est toutefois apportée dans le cadre d’une expertise avant dire droit prise en application des dispositions issues de l’article R. 621-1 du code de justice administrative. Si dans ce cadre « l’expert se voit confier une mission de médiation, doivent, de même, demeurer confidentiels les documents retraçant les propositions, demandes ou prises de position de l’expert ou des parties, formulées dans le cadre de la mission de médiation en vue de la résolution amiable du litige. Il appartient alors à l’expert, ainsi que le prévoit l’article R. 621-1, de remettre à la juridiction un rapport d’expertise ne faisant pas état, sauf accord des parties, des constatations et déclarations ayant eu lieu durant la médiation ».

 

Dans cette hypothèse, les demandes et prises de position y compris de l’expert semblent concernées par l’obligation de confidentialité de sorte que les parties pourraient prévoir de lever l’obligation de confidentialité pour ces documents dans ce cas précis. Mais il ne s’agit pas d’une possibilité d’extension par les parties de l’obligation de confidentialité à des hypothèses non prévues par la loi, mais d’une possibilité de limiter la confidentialité.

 

Finalement, le Conseil d’Etat demeure muet sur la faculté des parties de prévoir malgré tout une obligation de confidentialité pour les documents non concernés par ladite obligation. A cet effet, Natalie Fricero, spécialiste en procédure civile considère que la solution apportée par la jurisprudence GTOI pourrait être étendue à la procédure civile au regard de la rédaction identique de la médiation administrative, judiciaire et conventionnelle (article 21-3 de la loi du 8 févr. 1995, ; Code
de procédure civile, article 1531).

 

Elle rajoute que « par précaution, lorsqu’une expertise est décidée par les parties au cours d’une médiation ou d’une conciliation, il leur appartient de prévoir si elle sera confidentialisée ou non. Si les parties décident de la produire en justice en cas d’échec des négociations, elle aura seulement la valeur d’une expertise non-judiciaire, même si toutes les parties y ont participé, c’est-à-dire qu’elle devra être corroborée par une autre preuve (Civ. 2e, 9 févr. 2023, n° 21-15.784 ; Recueil Dalloz Procédure civile – Natalie Fricero – D. 2024. 613).

 

Les parties pourraient donc y compris en matière administrative non seulement limiter l’obligation de confidentialité mais aussi prévoir une confidentialité pour les rapports d’expertise. Mais cette faculté d’extension demeure encore à l’état de supposition, demandant à être confirmée par la jurisprudence du Conseil d’Etat.

 

 

II) Sur l’effectivité de l’obligation de confidentialité issue de l’article L. 213-2 du CJA Le Conseil d’Etat prend en tout cas la peine de préciser les conséquences de l’obligation de confidentialité prévue par la loi.

 

 

Ainsi, les pièces concernées par la confidentialité « ne peuvent être invoquées ou produites dans le cadre d’une instance devant le juge administratif qu’à la condition que les parties aient donné leur accord ou que leur utilisation relève d’une des exceptions prévues à cet article. A défaut, le juge ne saurait fonder son appréciation sur de telles pièces. En revanche, les autres pièces peuvent être invoquées ou produites devant le juge administratif et ce dernier peut les prendre en compte pour statuer sur le litige porté devant lui, dans le respect du caractère contradictoire de l’instruction ».

 

Logiquement la production d’une telle pièce est sanctionnée par l’impossibilité pour le juge d’en tenir compte pour statuer sur le litige, l’annulation d’un tel jugement pouvant être obtenue en appel ou en cassation. Mais là encore il convient de se demander si la même sanction est applicable dans le cas d’une confidentialité prévue par les parties et non par la loi.

 

En toute logique, il ne semble pas qu’une effectivité différente doive s’imposer dans une telle hypothèse.

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Maître Moshé Benhamou

Avocat exerçant en cabinet individuel, inscrit au Barreau de Paris, je mets mon expertise juridique au service de la protection de vos droits et de la défense de vos intérêts, avec rigueur et engagement.