Sur la systématisation de l’appréciation dynamique de la légalité dans le contentieux de l’urbanisme
I/ L’opportunité de systématiser dans le contentieux de l’urbanisme la méthode de l’appréciation dynamique de la légalité
1. Les origines de la méthode
Dans un arrêt Association des américains accidentels rendu le 19 juillet 2019, le Conseil d’Etat déclare “ Il s’ensuit que, dans l’hypothèse où un changement de circonstances a fait cesser l’illégalité de l’acte réglementaire litigieux à la date à laquelle il statue, le juge de l’excès de pouvoir ne saurait annuler le refus de l’abroger.”. Ici le Conseil d’Etat enterre le principe aux termes duquel le juge de l’excès de pouvoir est tenu d’examiner la légalité des actes administratifs au jour de leur édiction. Dans cet arrêt, il admet que le juge de l’excès de pouvoir puisse examiner la légalité de l’acte au moment où il statue. Cette jurisprudence consacre la méthode de l’appréciation dynamique de la légalité dans le contentieux administratif général.
Ainsi, l’arrêt Association des américains accidentels illustre l’importance qu’à pris ce mécanisme né en contentieux de l’urbanisme pour garantir “l’effet utile” du recours. L’appréciation dynamique de la légalité permet au juge de prendre en compte les changements de circonstances de fait ou du droit qui ont influé sur la légalité d’un acte entre son édiction et
sa saisine. Ainsi elle lui donne le pouvoir de régulariser un acte administratif illégal à l’origine. Aux termes de ce mécanisme le juge peut considérer qu’une décision administrative postérieure à l’acte attaqué l’ait régularisé de tel sorte qu’il n’est plus entachée d’illégalité au moment où il statue.
Ce mécanisme qui a vocation à “sauver” certains actes administratifs a été initialement admis en contentieux de l’urbanisme notamment dans l’arrêt du Conseil d’Etat n° 238315 dit “ Société La Fontaine de Villiers”. Le Conseil d’Etat avait admis qu’une autorisation d’urbanisme puisse être régularisée par l’obtention, en cours d’instance, d’un permis de construire modificatif. Ici le
Conseil d’Etat a donné au juge de l’excès de pouvoir la possibilité d’apprécier dynamiquement la légalité d’une autorisation d’urbanisme.
2. L’intérêt de cette méthode en contentieux de l’urbanisme.
L’arrêt Société La Fontaine de Villiers témoigne d’une prise de conscience de la nécessité de permettre la régularisation de certains actes administratifs en contentieux de l’urbanisme. Dès lors plusieurs mécanismes de régularisation d’autorisation d’urbanisme ont été développés dans la jurisprudence du contentieux de l’urbanisme. Ces derniers ont fait l’objet du rapport
Labetoulle de 2013 « Construction et droit au recours, pour un meilleur équilibre » puis ont été consacrés par le législateur dans l’ordonnance du 18 juillet 2013 relative au contentieux de l’urbanisme.
Il convient de noter que l’intérêt de permettre la régularisation d’un acte d’urbanisme est double voir triple.
D’une part, elle permet au juge de l’excès de pouvoir d’affirmer son rôle de garant de la légalité des actes administratifs. De fait, avant l’avènement de l’appréciation dynamique de la légalité, le juge était tenu d’examiner la légalité de l’acte d’urbanisme au regard du cadre légal dans lequel il a été édicté. Ainsi, aux termes de ce principe, le juge pouvait être fréquemment amené à déclarer illégal un acte qui ne l’était plus au moment où il statue. Dans ce contexte, le rôle du juge de l’excès de pouvoir, garant de la légalité, était en perte de sens. Ici le juge n’œuvrait plus pour garantir la légalité des actes mais plutôt pour faire état d’une situation révolue. Ainsi la doctrine a considéré que l’appréciation dynamique de la légalité contribue grandement à replacer la légalité au premier rang des prérogatives du juge.
D’autre part, cette nouvelle méthode paraît également profitable au requérant qui soulève l’illégalité d’une autorisation d’urbanisme. Si la régularisation peut anéantir le seul moyen pour le requérant de voir une autorisation d’urbanisme annulée, elle à l’avantage d’éviter au requérant de devoir poursuivre ou éventuellement reformuler un recours.
Par ailleurs, ce mécanisme évite à l’administration de prendre plusieurs actes. La prise en compte de ces considérations procède de la volonté de faire primer “l’effet utile du recours”.
II/ L’impossibilité de systématiser une méthode opportune
L’appréciation dynamique de la légalité constitue un réel atout pour permettre la régularisation des actes administratifs ainsi elle est largement employée en contentieux de l’urbanisme. Dans son article Le contentieux des autorisations d’urbanisme : chronique d’une mort annoncée ou vers un difficile équilibre des intérêts ? Sophie Lapprand relève que la présence d’un vice dans une autorisation d’urbanisme conduit rarement à son annulation. En droit de l’urbanisme la stabilité des situations juridiques prime. C’est en ce sens que les mécanismes de régularisation a priori à l’article L600-5-1 et L600-9 du code de l’urbanisme et a posteriori défini à l’article L600-5 ancrent l’appréciation dynamique de la légalité par le juge dans le contentieux de l’urbanisme.
1. L’exclusion des vices de procédure
Cependant à l’issue d’un examen attentif de ces mécanismes de régularisation, on constate que certains vices ne peuvent pas bénéficier de l’appréciation dynamique de la légalité pour être régularisés. De fait, aux termes des mécanismes de régularisation prévus dans le code de l’urbanisme on admet que seul les vices de de fonds qui entachent la légalité d’une autorisation
d’urbanisme puisse jouir de l’appréciation dynamique du juge. Dans un arrêt du 3 juin 2020 no 420736 SCI Alexandra, le Conseil d’Etat déclare “ Un vice de procédure, dont l’existence et la consistance sont appréciées au regard des règles applicables à la date de la décision litigieuse, doit en principe être réparé selon les modalités prévues à cette même date. S’agissant des vices
entachant le bien-fondé du permis de construire, le juge doit se prononcer sur leur caractère régularisable au regard des dispositions en vigueur à la date à laquelle il statue et constater, le cas échéant, qu’au regard de ces dispositions le permis ne présente plus les vices dont il était entaché à la date de son édiction.”. Ici le Conseil rappelle que par définition un vice de procédure s’apprécie au regard du cadre légal en vigueur au moment de son édiction et ne peut ainsi pas faire l’objet d’une appréciation dynamique de la part du juge. Ainsi, dans l’hypothèse d’une systématisation de l’appréciation dynamique de la légalité dans le contentieux administratif, les moyens tirés de l’existence d’un vice de procédure devront par voie d’exception continuer à être examiné par le juge au regard du cadre légal en vigueur au moment de l’édiction de l’acte.
2. L’appréciation dynamique de la légalité au service de la régularisation
Il convient de noter que l’appréciation dynamique de la légalité doit servir en contentieux de l’urbanisme uniquement les mécanismes de régularisation présents dans la loi. Ainsi cette méthode ne peut pas être systématisée si cela a pour conséquence de ne plus servir cet objectif.
3. L’accélération de la disparition du recours pour excès de pouvoir
La doctrine met régulièrement en garde le Conseil d’Etat sur les effets de l’élargissement de l’appréciation dynamique de la légalité à de nouveaux pans du contentieux administratif. En effet cette méthode contrevient au principe cardinal selon lequel le juge de l’excès de pouvoir est tenu d’examiner la légalité d’un acte à la date à laquelle il a été édicté. La doctrine s’accorde à dire que ce principe fait partie des dernières caractéristiques qui distingue l’office du juge du recours pour excès de pouvoir de celui du juge de plein contentieux. Ainsi multiplier les usages de l’appréciation dynamique de la légalité en recours pour excès de pouvoir c’est conduire celui-ci à sa perte. En effet dans plusieurs articles titrés “Le recours pour excès de pouvoir est-il toujours un instrument pertinent ?” certains juristes prennent l’existence de cette méthode comme un argument en faveur de l’extinction du recours pour excès de pouvoir au profit du recours de plein contentieux. Or, il existe une véritable résistance au sein de la juridiction administrative qui lutte en faveur du maintien des spécificités du recours pour excès de pouvoir considéré comme “sacré”. Cette résistance apparaît comme un argument en défaveur de la systématisation de cette méthode qui doit être employée que dans des cas très précis.
En définitive, si la méthode paraît opportune au regard de l’existence de mécanismes de régularisation la mettant déjà en œuvre en contentieux de l’urbanisme, le cadre précis dans lequel ces mécanismes s’exercent rend sa systématisation impossible actuellement.
Une telle modification de l’office du juge de la légalité devrait-elle se limiter au contrôle des actes « réglementaires » en matière d’urbanisme (i.e., les documents d’urbanisme) ou pourrait-elle aussi inclure également les autorisations d’urbanisme ?
L’appréciation dynamique de la légalité s’est développée au-delà des litiges liés à des actes réglementaires. Certains actes individuels sont contrôlés par le juge de l’excès de pouvoir selon les circonstances de droit et de fait prévalant au moment de la décision juridictionnelle (A).
Dans ce contexte, l’ouverture du prétoire à un contrôle de légalité dynamique pour les autorisations d’urbanisme est envisageable, notamment en raison des enjeux de sécurité juridique et d’« effet utile » que cela impliquerait (B).
A)L’ouverture du prétoire à une appréciation dynamique de la légalité pour les actes individuels
L’appréciation « statique » de la légalité dite était considérée comme « cardinale » dans les contentieux de l’excès de pouvoir (B. Defoort, « L’extension du domaine de l’appréciation dynamique de la légalité, 31 janvier 2023 »).
Si la décision « Américains accidentels » était novatrice en ce qu’elle ouvrait la voie de l’appréciation dynamique de légalité au recours pour excès de pouvoir, elle restaitt justifiée par son objet. En effet, l’annulation du refus d’abroger un acte réglementaire ne pouvait entraîner une conséquence que pour l’avenir. Le contrôle dynamique de la légalité comportait un véritable
« effet utile » pour ce genre de contentieux.
Néanmoins, l’appréciation dynamique de la légalité a été ouverte aux actes individuels alors que ces derniers ne sont pas concernés par la procédure d’abrogation prévue par l’article L.243- 1 du CRPA. Cette ouverture témoigne donc que « l’effet utile » concerne aussi les décisions juridictionnelles ayant des conséquences individuelles rétroactives.
A titre d’exemple, le Conseil d’Etat a jugé que « lorsqu’il est saisi de conclusions aux fins d’annulation du refus de la CNIL de mettre en demeure l’exploitant d’un moteur de recherche de procéder au déférencement de liens, le juge de l’excès de pouvoir est conduit à apprécier la légalité d’un tel refus au regard des règles applicables et des circonstances prévalant à la date
de la décision. » (CE, 6 décembre 2019, Mme X, n°391000).
Dans le même sens, l’appréciation dynamique de la légalité concerne aussi les recours en annulation de refus de demande de titre de séjour (CE, avis, 1er juillet 20020, n°436288) ou de refis de communication de documents administratifs (CE, 1er mars 2021, n°436654). Une procédure plus indirecte, que nous pourrions appeler « exception d’illégalité dynamique », permet aussi d’apprécier de façon dynamique la légalité d’un acte individuel.
En effet, le juge peut apprécier de façon dynamique la légalité d’un acte règlementaire lorsqu’il en excipe la légalité à l’occasion d’un recours en excès de pouvoir contre une décision individuelle prise en application dudit règlement.
La jurisprudence retient que « lorsque le juge de l’impôt est saisi, au soutien d’un contestation du bien fondé de l’impôt, d’une exception d’illégalité de l’acte réglementaire sur la base duquel a été prise une décision individuelle d’imposition, il lui appartient de l’écouter lorsque cet acte réglementaire est, par l’effet d’un changement de circonstances, devenu légal à la date du fait générateur de l’imposture. » (CE, Min. de l’Economie des Finances et de la relance contre
SA. Ceetrus France).
De façon indirecte, c’est la décision individuelle prise en application du règlement contrôlé par voie d’exception, qui sera annulée pour défaut de base légale. En adoptant une démarche dynamique dans l’exception de légalité de l’acte réglementaire, c’est bel et bien l’acte individuel qui en est l’application dont la légalité est appréciée de façon dynamique.
B)L’appréciation dynamique des autorisations d’urbanisme : un enjeu liant sécurité juridique et « effet utile »
Les autorisations d’urbanisme correspondent à des actes administratifs individuels délivrés par une commune. Les principales autorisations d’urbanisme sont le permis de construire, la déclaration préalable de travaux, le permis d’aménager et le permis de démolir.
Pour engager des opérations d’urbanisme, les administrés doivent obtenir une autorisation d’urbanisme par la commune qui peut alors contrôler que les travaux sont conformes aux règles générales d’urbanisme.
La subjectivisation du recours pour excès de pouvoir est un thème connu par les juristes, tant les préoccupations qui accompagnent le juge de l’annulation sont plus importantes aujourd’hui. La professeure Elise Carpentier souligne l’exemple du contentieux des autorisations d’urbanisme, révélateur de l’évolution globale du contentieux de l’annulation : « la montée en
puissance de l’analyse économique du droit a porté les pouvoirs publics, y compris le juge administratif, à garantir davantage de sécurité juridique aux administrés (CE, KPMG, 2006), quitte à rogner le sacro-saint principe de légalité gouvernant l’action administrative, et du même coup le recours pour excès de pouvoir […] Cette évolution n’a pas épargné le contentieux de l’urbanisme, et plus spécifiquement le contentieux des autorisations d’urbanisme. Bien au contraire. Il n’a échappé à personne que le législateur a, par une série de réformes menées depuis vingt ans, poussé ces évolutions à leur paroxysme. » (Elise Carpentier, « Les évolutions récentes du recours pour excès de pouvoir en matière d’autorisations d’urbanisme »).
La notion de sécurité juridique est centrale dans la réflexion du juge administratif qui se met à la place des justiciables pour envisager l’effet des décisions sur eux. Pour être plus précis, le doctrine considère que « la sécurité juridique peut être définie par la trilogie : clarté, stabilité et prévisibilité du droit. » (Anne-Laure Cassand-Valembois, « L’exigence de sécurité juridique et
l’ordre juridique français : « je t’aime, moi non plus… »).
La notion de sécurité juridique est donc centrale, et il faut la lier avec celle de « l’effet utile des décisions » théorisée à l’occasion de l’arrêt « Américains accidentels ». En effet, c’est la sécurité juridique qui a justifié l’évolution du contentieux de l’urbanisme, précurseur à cet égard, par la loi Bosson de 1994.
Celle-ci introduisait un article L.600-2 dans le code de l’urbanisme disposant que « « Lorsqu’un refus opposé à une demande d’autorisation d’occuper ou d’utiliser le sol ou l’opposition à une déclaration de travaux régies par le présent code a fait l’objet d’une annulation juridictionnelle, la demande d’autorisation ou la déclaration confirmée par l’intéressé ne peut faire l’objet d’un nouveau refus ou être assortie de prescriptions spéciales sur le fondement de dispositions d’urbanisme intervenues postérieurement à la date d’intervention de la décision annulée sous réserve que l’annulation soit devenue définitive et que la confirmation de la demande ou de la déclaration soit effectuée dans les six mois suivant la notification de l’annulation au pétitionnaire. »
L’annulation du refus d’une demande d’autorisation a été prononcée par le juge, l’administration ne saurait s’appuyer sur l’état du droit nouveau pour refuser une nouvelle fois cette autorisation. Cette mesure peut sembler contraire à l’appréciation dynamique de la légalité, en ce qu’elle propose d’appliquer le droit antérieur à une demande d’autorisation d’urbanisme. En réalité, cette mesure participe à un besoin de sécurisation juridique de la situation des administrés, à une nouvelle approche de la légalité loin de la pratique du 19e siècle bien plus objective.
Or, le lien entre « l’effet utile des décisions » et la sécurité juridique est certain et justifie une ouverture de la jurisprudence « Américains accidentels » aux autorisations d’urbanisme. En effet, l’effet utile peut être défini d’un point de vue finaliste. Lorsqu’il annule une décision administrative en s’appuyant sur des circonstances de fait et de droit antérieur, et que le droit a évolué entre temps, rien n’empêchera l’administré de refaire une demande d’autorisation d’urbanisme à l’issue de la procédure juridictionnelle.
Réciproquement, si le juge valide une autorisation d’urbanisme en se référant au droit ancien en vigueur au moment de la décision administrative, et que le droit nouveau ne permet plus cette autorisation, rien n’empêchera l’administration d’abroger cette autorisation en application de l’article L. 242-1 du CRPA.
Le juge doit donc se prononcer en se référant au droit en vigueur au moment où il décide afin que sa décision ne soit pas immédiatement remise en cause par l’administration ou l’administré, auquel cas, cette décision deviendrait inutile. C’est le fondement même de l’appréciation dynamique de la légalité qui est finalement très proche de l’idée de sécurité juridique.
En effet, la sécurité juridique, définie notamment par la « clarté, stabilité et la prévisibilité du droit » ne doit pas permettre à des parties de remettre immédiatement au cause la décision du juge.
Ainsi, lorsque la professeure Elise Carpentier considère que l’évolution du contentieux des autorisations d’urbanisme pousse à « son paroxysme » la recherche de sécurité juridique, elle avance de nombreux arguments qui sont particulièrement pertinents.
Parmi les arguments avancés par cette dernière, certains sont plus récents et témoignent d’une évolution qui continue dans cette direction. A cet égard, il convient de mentionner l’article L.600-5-1 du code de l’urbanisme introduit par la loi « ENL » du 13 juillet 2006 qui autorise le juge de l’annulation de surseoir à statuer sur un recours contre un permis de construire si le vice
lié à ce permis peut être régularisé, le juge devant même inviter les parties à agir en ce sens. Il apparaît donc que la sécurité juridique, éminemment liée à la notion d’effet utile, justifie cette nouveauté dans l’office du juge des autorisations d’urbanisme qui doit chercher à appliquer le droit de façon dynamique.
Un autre exemple est révélateur de cette vision nouvelle de l’office du juge dans ce domaine, à savoir l’article L.600-5 du code de l’urbanisme, qui lui permet de prononcer des annulations partielles contre des autorisations d’urbanisme illégales. Voila donc une adaptation au contentieux des autorisations d’urbanisme de la jurisprudence du Conseil d’Etat « Union de la
propriété bâtie » de 1958.
Ainsi, le besoin de stabilité et la prévisibilité du droit, au centre de la notion de droit de sécurité juridique, donne de nouvelles possibilités d’actions au juge de l’urbanisme qui s’éloigne de son office initial pour s’adapter à la situation des individus. Dans cette optique, et au vu de l’ouverture de la jurisprudence « Américains accidentels » aux actes individuels, il serait largement pertinent d’ouvrir l’appréciation dynamique de la légalité aux autorisations d’urbanisme et de ne pas la limiter aux seuls actes règlementaires d’urbanisme.
Sur l’opportunité du rattachement du contentieux de l’urbanisme au plein contentieux plutôt qu’à l’excès de pouvoir
I. S’agissant de la possibilité et de l’opportunité de rattacher le contentieux de l’urbanisme au recours de pleine juridiction
Sur un plan purement théorique, un recours contre une décision administrative (acte administratif règlementaire ou individuel) relève en principe du recours en excès de pouvoir (CE, 1950, Dame Lamotte). Toutefois, il existe des hypothèses où le recours formé se doit d’être un recours de pleine juridiction/plein contentieux où le juge administratif dispose d’une palette d’outils à sa disposition plus étendue, comme le pouvoir de réformation d’une décision. Les recours de plein contentieux peuvent être consacrés par la voie d’une disposition législative comme le montre l’article L. 311-4 du code de justice administrative ou par la
jurisprudence comme l’illustre le contentieux des sanctions contre un administré (CE, 2009, Société ATOM). Selon Marc Fornacciari, avocat en droit public, « le plein contentieux par nature est seulement ce que vous déclarez tel. Ce sont les litiges que vous estimez plus logique, plus cohérent, plus avantageux peut-être, pour le requérant, de traiter selon les modalités procédurales du plein contentieux ». Par conséquent, il serait tentant de penser que rien n’empêcherait en principe le législateur de faire basculer le contentieux de l’urbanisme dans la famille de la pleine juridiction.
Tout d’abord, il convient de faire remarquer que l’intérêt à agir en matière d’urbanisme est apprécié de façon très stricte, en particulier pour les recours en contestation d’autorisations d’urbanisme, actuellement placé sous le régime du recours en excès de pouvoir. L’article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme dispose en effet que : « Une personne autre que l’Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n’est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre une décision relative à l’occupation ou à l’utilisation du sol régie par le présent code que si la construction, l’aménagement ou le projet autorisé sont de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien qu’elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d’une promesse devente, de bail, ou d’un contrat préliminaire mentionné à l’article L. 261-15 du code de la construction et de l’habitation ». Cette spécificité tend à faire penser que l’intérêt à agir en contentieux de l’urbanisme n’est pas apprécié de la même façon que dans les autres domaines du droit administratif, et ressemble étrangement à la façon dont l’intérêt à agir est apprécié dans le cadre d’un recours de plein contentieux, qui vise à apprécier concrètement la situation du requérant au regard de ses droits pour justifier le recours et le rendre recevable. Un rattachement de l’urbanisme au recours de plein contentieux ne ferait ainsi que consacrer un mouvement déjà entrepris.
Par ailleurs, au-delà de la question de la recevabilité de la requête, dans le cadre de l’examen au fond de celle-ci, il est désormais acté que le contentieux de l’urbanisme de l’excès de pouvoir se caractérise par un office du juge pour le moins unique avec une appréciation dynamique de la légalité fréquente, en particulier au regard des possibilités de régularisation prévues par les dispositions législatives et règlementaires du code de l’urbanisme, notamment avec l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme introduit par la loi Elan en date du 23 novembre 2018.
Cette appréciation dynamique, normalement spécifique et typique de l’office du juge de plein contentieux inonde, on le sait, le recours en excès de pouvoir depuis les arrêts Américains accidentels et Elena permettant notamment l’abrogation d’un acte règlementaire mais inonde déjà tout particulièrement le recours en excès de pouvoir en matière d’urbanisme. Elle consiste à permettre au juge administratif de se prononcer en fonction des circonstances de droit et de fait à la date où il statue et non à la date d’une éventuelle décision en cause, de façon à prendre en compte les éventuels changements dans la situation du requérant (CE, 1982, Aldana Barrena), notamment les mesures de régularisation auquel le juge pourra l’inviter.
Là encore, le basculement en plein contentieux ne ferait qu’acter et assumer une volonté de rendre le recours en excès de pouvoir en matière d’urbanisme étrangement ressemblant à un recours de pleine juridiction, avec une forte prise en compte des évènements postérieurs à l’introduction du recours susceptibles de « sauver » l’autorisation délivrée, et ainsi favoriser la sécurisation des projets immobiliers.
Le contentieux de l’urbanisme se caractérise aussi par une spécificité liée aux problématiques de recours dilatoires ou abusifs permettant de présenter au juge des conclusions reconventionnelles, ce qui est en principe tout à fait prohibé dans un recours en excès de pouvoir classique. Cette faculté prévue à l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme éloigne ainsi fortement le contentieux de l’urbanisme de l’excès de pouvoir classique pour l’orienter vers un recours sinon de plein contentieux, de moins en moins ressemblant à un recours en excès de pouvoir.
L’autorisation d’urbanisme à minima, pourrait peut-être s’analyser comme un acte créateur de droit, comme l’autorisation de licenciement d’un salarié protégé. Dans cette perspective, elle pourrait relever davantage du recours de plein contentieux, dans un souci de cohérence et de pertinence, en particulier au regard des conditions dans lesquelles l’autorisation devient
définitive et insusceptible de recours.
Une des grandes différences entre le recours en excès de pouvoir et le recours de plein contentieux tient à la nature des moyens invocables devant le juge administratif. En effet, l’on sait que dans le REP, seuls sont invocables des moyens tirés de l’illégalité de la décision, externe ou interne. Alors que dans le recours de plein contentieux, l’étendue des moyens invocables est plus vaste, permettant de faire valoir sa situation, ses droits, en plus de l’illégalité de la décision préjudiciable, à l’exception des moyens tenant aux vices propres de légalité externe de la décision attaquée (CE, 2003, Colin).
Mais même cette restriction n’empêchera pas le requérant de se prévaloir de l’illégalité de l’acte administratif qui fonde le
refus d’indemnisation, dans la mesure où elle ne concerne que les vices propres affectant la décision qui a lié le contentieux. Le requérant ne s’en trouverait ainsi pas pénalisé.
La seule difficulté du basculement du contentieux de l’urbanisme en pleine juridiction tient aux conséquences attachées à la légalité de l’autorisation d’urbanisme dans le cas où le juge en prononcerait l’annulation. En principe, en matière de plein contentieux objectif, la décision du juge est revêtue de l’autorité relative de chose jugée (TA Melun, 18 décembre 2008,
Préfet du Val-de-Marne /Commune de Fontenay-sous-Bois) alors qu’en matière de recours en excès de pouvoir, la décision du juge est revêtue de l’autorité absolue de chose jugée. Or, le contentieux de l’urbanisme, même s’il basculerait en plein contentieux, serait fortement empreint de questions de légalité.
Peut-on imaginer que l’illégalité d’un permis de construire constatée par le juge administratif n’ait pas d’autorité absolue de chose jugée ? Pour autant, la jurisprudence Lafage voudrait en principe que l’existence d’un recours de plein juridiction
ferme la porte de la voie du recours en excès de pouvoir (CE, 1912, Lafage). Ce qui empêcherait de contester pour les tiers l’illégalité d’un acte administratif. Cela pourrait être problématique au regard justement du principe de légalité et des droits des tiers.
II. S’agissant des conditions de mise en œuvre de ce rattachement
En tout état de cause, dans cette perspective et hormis la difficulté évoquée, il serait possible de faire éventuellement basculer le contentieux de l’urbanisme vers un recours de plein contentieux objectif, mêlant à la fois la possibilité de sanctionner l’illégalité d’un acte d’urbanisme, règlementaire ou individuel, tout en permettant au juge de réformer la décision, de se pencher sur d’autres moyens que ceux tirés de l’illégalité de la décision, à savoir les droits du requérant. En effet, l’intérêt du requérant ne réside pas nécessairement dans l’annulation de l’autorisation d’urbanisme mais surtout dans sa régularisation au regard de ses droits, l’annulation n’intervenant que dans la mesure où cette régularisation est justement impossible. A titre d’exemple le Conseil d’État avait en 1912 ouvert la voie du recours pour excès de pouvoir contre des décisions uniquement à objet pécuniaire qui relevait normalement du recours de plein contentieux à partir du moment où le requérant ne fait qu’invoquer des
moyens tirés de l’illégalité de la décision (CE, 8 mars 1912, Lafage). En suivant la logique inverse, on pourrait très bien faire passer le contentieux de l’urbanisme dans le recours de plein contentieux dans la mesure où l’illégalité de la décision n’intéresse pas tant le requérant que la prise en compte et le rétablissement de ses droits, et à défaut une indemnisation pour illégalité fautive (CE, 1973, Ville de Paris/Driancourt), ou devant le juge judiciaire dans le cadre du contentieux civil de l’urbanisme.
S’agissant des actes règlementaires d’urbanisme (PLU, SCot, OAP, RNU…) il apparait à priori que le recours pour excès de pouvoir soit le seul applicable contre ce type d’actes, car il parait difficile d’imaginer un recours de pleine juridiction contre un acte règlementaire, avec un juge administratif qui se substituerait au pouvoir règlementaire en réformant l’acte en cause. Pour preuve, toutes les hypothèses législatives ou jurisprudentielles de recours de pleine juridiction ne concernent jusqu’à présent que des décisions individuelles mettant en jeu des intérêts privés, comme des condamnations pécuniaires, en matière fiscale (CE, 1996, Houdmond), en matière électorale par la loi de 1975, en matière d’immeubles en ruines à l’article L. 511-1 du code de la construction et de l’habitation, d’installations classées protection de l’environnement (ICPE) prévu à l’article L. 511-1 du code de l’environnement, d’arrêtés d’insalubrité sur le fondement de l’article L. 1331 du code de la santé publique, d’octroi de la qualité de réfugié (CE, 1982, Aldana Barrena), de tarification sanitaire et sociale par le décret n° 90-359 du 11 avril 1990, de contentieux des travailleurs handicapés (CE, 1994, Abderrahmane), ou des sanctions non disciplinaires des agents publics ou contre les administrés (Arrêt Atom précité).
Au reste, tous les contrats administratifs se contestent par voie de recours de pleine juridiction en vertu du recours Tarn-et-Garonne (sauf pour les agents publics ou les clauses règlementaires qui relèvent du recours en excès de pouvoir), y
compris les contrats d’occupation du domaine public (CE, 2015, Société Orange). Par conséquent, l’hypothèse d’un basculement du contentieux de l’urbanisme, ne concernerait que les recours contre les autorisations d’urbanisme, dans un souci de cohérence avec la philosophie du recours de pleine juridiction.
Enfin, un basculement du contentieux de l’urbanisme en plein contentieux devant les tribunaux administratifs impliquerait à priori l’obligation de ministère d’avocat sauf exceptions prévues aux articles R. 431-2 et suivants du code de justice administrative. Il serait possible de considérer cette obligation comme problématique dans la mesure où elle obligerait le requérant à engager des frais d’avocat souvent importants afin de protéger son bien et son droit de propriété. D’un autre côté, il est possible aussi de dire que cela permettra de favoriser des recours contentieux de qualité, non dilatoires et non abusifs. Par ailleurs, la grande majorité des recours en urbanisme sont déjà introduits par des avocats, au regard de la complexité et de la technicité de la matière. Cela ne ferait ainsi qu’entériner une pratique existante majoritaire. Au reste, rien n’empêche le pouvoir règlementaire d’établir une dispense de ministère d’avocat, et ce, même dans l’hypothèse d’un basculement en recours de pleine juridiction.
Cela est déjà le cas pour des matières comme pour les litiges en matière de contributions directes, de taxes sur le chiffre d’affaires et de taxes assimilées, aux litiges en matière de pensions, de prestations, allocations ou droits attribués au titre de l’aide ou de l’action sociale, du logement ou en faveur des travailleurs privés d’emploi, d’emplois réservés
et d’indemnisation des rapatriés.